« Cher Monsieur,
Dans un « point de vue » paru dans Le Monde du 21 juillet 2008, intitulé « De quoi Siné est-il le nom ? », vous avez exprimé vos inquiétudes quant aux propos tenus par Siné, au début de l’été, dans Charlie Hebdo et aux différentes réactions qui s’ensuivirent.
Concernant Siné, vous y écrivez :
« Et quand on est face à ça, quand on voit un vieil humoriste - qui, en effet, ne sait sans doute pas vraiment ce qu’il dit - manipuler des chaînes signifiantes qui ont toujours, partout, avec une régularité implacable, mis le feu dans les esprits, la juste attitude n’est pas de minimiser, ratiociner, discuter à perte de vue des dosages respectifs, dans l’énoncé incriminé, du poison de la haine et de l’excipient gentiment ricaneur - elle est de déclencher, sans attendre, ce que Walter Benjamin appelait les "avertisseurs d’incendie". »
L’Observatoire de l’âgisme, sensible à toute forme de discrimination ou de stéréotype fondé sur l’âge, s’étonne, s’inquiète même, de l’équivalence que vous suggérez entre l’âge de l’humoriste et la conscience qu’il a (ou plutôt qu’il n’aurait plus) de ses propos et de leurs conséquences.
Siné aura 80 ans dans quelques mois. Est-ce donc globalement un âge où « en effet, l’on ne sait sans doute pas vraiment ce que [l’on] dit » ? Une telle incompétence touche-t-elle seulement les vieux humoristes où l’ensemble des octogénaires ? Doivent-ils tous désormais être considérés comme irresponsables de leurs pensées et de leurs propos ?
L’âgisme, comme toutes les formes de racisme, use bien souvent de ce procédé qui consiste à attribuer à une personne, à l’ensemble d’une « catégorie » de personnes, uniquement à cause de leur âge, d’autres caractéristiques, psychiques, morales, sociales, etc. « Le vieux », « les vieux » sont dès lors forcément avares ou gâteux ou réactionnaires…
Vous comprendrez pourquoi, connaissant votre vigilance quant à la dangerosité d’un tel procédé, nous avons été fort surpris d’en voir une forme, certes atténuée, mais néanmoins bien réelle, sous votre plume.
Veuillez recevoir, cher Monsieur, nos respectueuses salutations. »