Ah, « ces retraités qui dépensent l’argent des jeunes travailleurs ! »… « Ces vieux de 55 ans qui voudraient encore travailler »… « Ces vieux malades qui envahissent les hôpitaux »… Qui n’a pas déjà entendu ces propos de la bouche d’un proche ou à la lecture d’un quotidien ? Pourtant peu de personnes ont conscience qu’il s’agit de propos discriminants. Cette discrimination porte un nom : l’âgisme. Le 19 mars dernier, les spécialistes de la question se sont retrouvés au Québec pour une journée de réflexion organisée à Montréal par l’Observatoire Vieillissement et Société . Etudes à l’appui, de nombreux stéréotypes sur l’âge ont été dénoncés et démontés. Le ton n’était pas à la victimisation des aînés, mais davantage à la mobilisation pour donner aux 300 participants, aînés, bénévoles, professionnels et étudiants, des armes pour lutter contre l’âgisme.
« Imaginons un instant que les aînés se mettent en grève… » c’est par ce clin d’œil que la ministre québécoise de la Famille et des Aînés Marguerite Blais a ouvert le débat, invitant le public et les intervenants à mesurer le rôle des aînés dans le fonctionnement de la société, à travers le travail, le bénévolat ou l’aide apportée au sein des familles.
Les stéréotypes sur la vieillesse fréquemment employés dans la langue courante ont été pointés du doigt par l’écrivain et chercheur Jérôme Pellissier. Comment est représenté le vieillissement démographique de la population ? Habituellement comme une « marée grise », un « tsunami démographique », une « menace » pesant sur le pays. Jamais comme une bonne nouvelle. Pourtant une société sans vieilles personnes serait surtout… une société où l’on mourrait jeune. Il y a 200 ans, 60 % des personnes de 20 ans étaient orphelines. Aujourd’hui une famille peut compter jusqu’à cinq générations.
Les personnes à la retraite sont souvent représentées, dans nos sociétés, par deux stéréotypes aussi caricaturaux l’un que l’autre. D’un côté la figure du senior aisé de 60-70 ans, présenté comme oisif et égoïste, ne vivant que pour ses loisirs. De l’autre, la « personne âgée dépendante », après 80 ans, dépeinte comme forcément malade et démente, devenue tout à coup une « charge » pour la famille, un « poids » pour la société. Le Monde illustrait sa une du 1er décembre 2008 « Le bonheur est-il réservé aux sexagénaires ? » par un dessin de Plantu clairement âgiste. On y voyait représenté d’un côté un « senior » riche, heureux et oisif, dérangeant une foule de jeunes chômeurs qui « voudraient bosser ». Pourquoi ces représentations alors qu’on sait qu’une très grande partie des retraités vit dans une situation de pauvreté ? Peut-être justement pour masquer cette réalité de pauvreté ou pour masquer l’importance du rôle des retraités dans les activités associatives ou dans l’aide au sein des familles, sujets moins médiatiques. Ces stéréotypes sont inquiétants car ils ont en commun d’être accusateurs envers un groupe d’âge. Cela ressemble à une bouc-émissarisation d’un groupe de personnes ayant en commun un seul critère, l’âge, mais pointé comme coupable à lui seul de tous les maux de la société.
La comédienne québécoise Béatrice Picard a aussi dénoncé ces stéréotypes en s’en amusant et en rappelant les nombreuses expériences positives du vieillissement. C’est aussi sous l’angle humoristique qu’un des aînés membre de l’Observatoire Vieillissement et Société, s’était déguisé en mi-jeune /mi-vieux. Baskets, jogging, casquette d’un côté, costume, cravate, cheveux gris de l’autre, ce « clown » déambulait auprès des participants avec un message simple : jeunesse et vieillesse cohabitent en tout être humain, à tout âge. Seul l’âgisme est à l’origine de l’opposition radicale entre l’enfant et la personne âgée.
Martine Lagacé, docteure en psychologie sociale et professeure en communication, a démontré les coûts de l’âgisme au travail pour l’individu, l’entreprise et la société. Le milieu du travail est un terrain particulièrement favorable aux stéréotypes et croyances âgistes. Un avis partagé par Marcel Mérette, professeur de Science économique à l’Université d’Ottawa, venu présenter les résultats d’une étude singulière. Une simulation économique a permis d’évaluer l’impact sur le PIB d’un retrait hâtif et non voulu de travailleurs âgés de 60 à 64 ans. Pour l’année 2008, si le taux d’activité des 60-64 ans avait été de 60%, le PIB aurait connu une augmentation de 0,98%. Un autre scénario du modèle envisage une projection en 2020, en intégrant les changements démographiques mais en appliquant un taux d’activité des 60-64 ans constant : le PIB connaîtrait alors une baisse de -1,2%.
Au niveau médical, les questions de maltraitance font souvent la une des media. La discrimination peut prendre des formes moins visibles. Marie Jeanne Kergoat en a cité quelques exemples. Une personne âgée ressent une douleur. Elle pourra s’entendre dire « c’est normal, c’est l’âge » et les troubles de la douleur ne seront pas dépistés… Gériatre, M.J. Kergoat a cherché à comprendre les causes de l’âgisme à l’hôpital. Le modèle biomédical y règne : les professionnels viennent y travailler en raison du caractère aigu et de la technicité des soins offerts, voire du prestige et de la rémunération. Or qu’y trouvent ils ? Des personnes âgées, atteintes de maladies chroniques, souvent difficiles à traiter car atteintes de polypathologies et ayant besoin d’une récupération plus longue. En résulte un décalage entre le désir de ceux qui offrent les soins et les attentes des personnes qui viennent s’y faire soigner : « les malades qu’on rencontre ne sont pas ceux que l’on voudrait rencontrer ». Ce décalage peut être à l’origine de pratiques âgistes. Tout comme le fonctionnement même d’un hôpital : les services sont spécialisés et la durée de séjour restreinte. Repenser l’organisation de l’hôpital et la formation des professionnels est donc capital. Et selon M.J. Kergoat, cela passe par une loi, étape essentielle dans la lutte contre tous les « ismes ».
Le géographe de la santé Jean Pierre Thouez a endossé le rôle de critique de la recherche scientifique, en mettant en garde le public contre l’âgisme dans la littérature scientifique. La nomenclature en classes d’âges présente souvent le groupe « âgé » comme « les 70 ans et plus », ou « 65 ans et plus », à l’inverse des classes d’âge inférieur, plus étroites. Cette vision large de la vieillesse empêche d’avoir une connaissance fine et nuancée des personnes ayant plus de 65 ou 70 ans.
Un certain nombre de préjugés concernant les capacités physiques et mentales des personnes âgées ont été mis à mal par le professeur de psychologie à l’Université du Québec à Montréal et chercheur Louis Bherer. Au-delà d’exemples de personnes vieillissantes ayant réalisé des exploits intellectuels ou sportifs, le chercheur a rappelé l’existence d’études montrant l’impact de l’activité physique sur la longévité (deux ans de hausse d’espérance de vie en moyenne). Selon lui, bien plus que l’âge, c’est la sédentarité qui peut être un facteur discriminant, une activité physique régulière favorisant l’intégrité des fonctions cérébrales. Autre coupable : nous-mêmes ! Un cerveau qui s’autodévalue fonctionne moins bien. C’est donc l’autodévaluation liée à son âge, souvent intériorisée par les personnes vieillissantes qui peut aussi entraîner un moins bon fonctionnement du cerveau.
Joséphine Loock,
Chercheuse sur la perte d’autonomie au Québec.
Journée de réflexion organisée le 19 mars 2009 par l’Observatoire Vieillissement et Société.
Avec le soutien de l’Institut Universitaire de Gériatrie de Montréal et du Ministère de la Famille et des Aînés.
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