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Un peu plus de cheveux gris sur le marché du travail
Entretien avec la chercheuse en psychologie du travail Donatienne Desmette
par webmaster

Sous le titre Un peu plus de cheveux gris sur le marché du travail , le site LeVif.be propose un entretien avec la chercheuse en psychologie du travail Donatienne Desmette :

Maintenir les seniors le plus longtemps possible au travail ? Une vraie question : en Belgique, seuls 38,6 % d’entre eux sont toujours actifs. Pour ce faible score, la Belgique est régulièrement pointée du doigt. Dans la tranche des 55-64 ans, moins de quatre travailleurs sur dix sont actifs sur le plan professionnel. Depuis quelques années, le gouvernement tente donc de relever le taux d’emploi des plus âgés... d’autant que l’on peut être considéré comme tel, désormais, dès 45 ou 50 ans. Donatienne Desmette, professeure de psychologie sociale du travail à l’UCL, s’est penchée sur les raisons pour lesquelles les seniors optent pour un retrait volontaire et anticipé du marché du travail. Ses recherches, qui l’ont notamment conduite à mettre en lumière de néfastes stéréotypes, éclairent d’un jour nouveau les politiques publiques qui pourraient ou devraient être mises en place.

Interview.

Le Vif/L’Express : Quelles sont les raisons pour lesquelles un travailleur décide volontairement de se retirer du marché du travail avant l’heure de sa pension ?

Donatienne Desmette : C’est un processus multidimensionnel. L’âge intervient mais les études prouvent que ce n’est pas un critère suffisant pour justifier une telle décision. D’autres raisons interviennent, d’abord liées à l’individu. Son choix va ainsi dépendre de son état de santé - moins elle est bonne, plus il sera enclin à se retirer -, de sa situation financière - plus elle est favorable, plus vite il choisira la prépension -, du fait qu’il a ou non une charge de famille, etc. Ensuite interviennent des facteurs relatifs aux conditions de travail, comme la pénibilité de l’emploi, le stress, l’autonomie dans le travail, les perspectives de promotion ou non. Enfin, il y a le facteur de l’âge psychosocial, c’est-à-dire, d’une part, la façon dont on se perçoit soi-même en termes de vieillissement, et d’autre part, le sens que la société donne au vieillissement.

On considère généralement comme acquise une corrélation négative entre l’âge avancé et la performance au travail... que les recherches ne confirment pourtant pas. Que sont au juste ces stéréotypes liés à l’âge sur le marché du travail ?

Les stéréotypes, ce sont des croyances partagées à propos de tous les membres d’un groupe de personnes, quelles qu’elles soient. Ils peuvent être positifs ou négatifs. Mais quand ils sont négatifs, ils conduisent à des discriminations. Or, par rapport aux travailleurs âgés, les stéréotypes qui circulent sont surtout négatifs. On évoque la résistance de ces travailleurs au changement, leurs difficultés d’apprentissage, leur manque de créativité, de flexibilité et d’initiative, leurs difficultés face aux nouvelles technologies, etc., tous critères en lien avec la productivité. Les stéréotypes positifs qui les concernent portent plutôt sur leur fiabilité, leur expérience, leur loyauté vis-à-vis de l’entreprise, leur côté consciencieux. Mais ces caractéristiques ne sont pas valorisées à la même hauteur que celles qui touchent à la productivité.

Certains de ces stéréotypes ne sont-ils pas justifiés ?

Ils ne sont pas justes dans la mesure où ils sont appliqués à tous les membres de la catégorie des plus de 45 ou 50 ans, de façon indifférenciée. C’est-à-dire qu’on assimile un individu à sa catégorie d’appartenance, sans tenir compte de toutes ses caractéristiques individuelles. Cela dit, le vieillissement entraîne de facto un déclin de certaines des capacités cognitives mais cela n’équivaut pas à un déclin des performances professionnelles. Des mécanismes de compensation peuvent en effet se mettre en place.

Par exemple ?

Un parmi d’autres : des études effectuées sur des dactylos ont conclu que la vitesse de frappe des plus âgés n’était pas inférieure à celle des plus jeunes : les premiers identifient en effet à l’avance un plus grand nombre de lettres que leurs collègues plus jeunes, grâce à leur expérience.

Pour quelles raisons positives un senior resterait-il plus longtemps au travail ?

On peut dire que ce sont les raisons inverses de celles qui le poussent à partir. Qu’observe-t-on sur le terrain ? Que rien que la création d’une catégorie d’âge a un impact sur le travailleur. C’est-à-dire que plus le travailleur de 50 ans va se ressentir et se définir comme tel, par son âge, plus il va vouloir quitter le monde du travail. Mais s’il ne se définit pas comme cela, et que, dans le travail, les plus âgés et les plus jeunes ne sont pas séparés sur ce critère, selon un principe de perméabilité entre les groupes, le travailleur âgé sera moins enclin à quitter le monde du travail.

Comment avez-vous pu mesurer l’impact des stéréotypes sur les individus ?

Nous avons « testé » des travailleurs de plus de 45 ans sur leur lieu de travail. Par exemple, nous avons soumis, à deux groupes différents, un article de presse dans lequel les stéréotypes négatifs ou positifs relatifs à l’avancement en âge étaient activés. Le troisième groupe n’avait pas d’article à lire. Puis nous avons interrogé ces travailleurs sur leur souhait de quitter anticipativement leur emploi. Comme nous nous y attendions, cette propension était nettement plus élevée pour ceux qui avaient auparavant lu l’article à connotation négative. Mais le plus intéressant était de noter que même ceux qui n’avaient pas lu d’article faisaient jeu égal avec ceux qui avaient fait part de leur souhait de quitter le marché du travail. Ce qui veut dire que la seule évocation de leur catégorie d’âge a suffi pour produire cet impact.

Est-ce à dire que les politiques publiques qui visent à maintenir les plus âgés au travail ratent leur objectif du simple fait de l’établissement de cette catégorie de personnes ?

Les catégories sont nécessaires précisément pour mettre en place des politiques publiques orientées vers ce public-là. Et cela, même si toute catégorisation comporte par définition un risque. Mais ce qu’il faut faire, c’est travailler sur les représentations sociales qui sont associées à ces catégories. Et, par différentes actions, casser les stéréotypes.

Concrètement, que suggérez-vous, par exemple ?

Il faut encourager tout ce qui, dans l’entreprise, peut améliorer les relations entre les différents groupes d’âges. On observe par exemple que plus les jeunes sont en contact avec leurs aînés, plus leurs attitudes par rapport aux aînés sont positives. D’où l’intérêt de les faire travailler ensemble, en équipes. C’est ce genre d’approche qu’il faut privilégier.

Des mesures de réduction de cotisations sociales pour l’engagement de salariés plus âgés sont-elles pertinentes ?

Un travailleur âgé dont l’engagement est ainsi encouragé sera toujours perçu comme favorisé. On pensera qu’il est moins compétent qu’un autre mais qu’il est engagé parce qu’il coûte moins cher à l’employeur. Il y a un risque que ce type de stratégie renforce les stéréotypes liés à l’âgisme. Il faut donc se poser la question de l’accompagnement de mesures de ce genre et prendre la peine de comprendre leur impact sur le terrain. Mais en termes de recherches scientifiques sur ce sujet, il y a pour l’instant un sérieux déficit.

Ce questionnement ne devrait-il pas aller de pair avec une réflexion plus générale sur la carrière professionnelle ?

Si. Il ne suffit pas de décréter que les plus âgés devraient rester plus longtemps au travail. Il faut penser à la faisabilité d’une carrière allongée, notamment en termes de bien-être pour les intéressés et d’équilibre entre les différentes catégories d’âge. La transition entre la vie professionnelle et la pension devrait aussi être davantage pensée.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

 
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