Québec - Site du Le Réseau sur le vieillissement et les changements démographiques (RVCD).
La mission du RVCD est d’assurer une observation continue de l’environnement du vieillissement et des changements démographiques au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde pour en faire une analyse pertinente à la prise de décision stratégique et favoriser le partage et le transfert de connaissances entre les intervenants appelés à travailler dans ce domaine.
L’Observatoire de l’âgisme, en ces temps exceptionnels, relaie quelques interviews importants pour nos réflexions.
Colette Le Petitcorps : « L’âgisme repose sur un système économique »
(le 07 avril 2020 - Timothé DAVID)
Les personnes âgées, chez elles ou dans leur Ephad, se trouvent parmi les premiers protégés de l’épidémie. Ou les premiers sacrifiés, c’est selon. Ils sont en tout cas au cœur des débats. Colette Le Petitcorps est sociologue et responsable du pôle recherche-action de l’association CIF-SP qui organisait avec la Ville de Poitiers et la MSHS, le premier colloque national Âgisme en novembre dernier.
Affiches Parisiennes : Comment définir l’âgisme ? Ne concerne-t-il que les personnes âgées ?
Colette Le Petitcorps : L’âgisme consiste à attribuer des caractéristiques à un individu en fonction de son âge et à adopter en fonction des classes d’âge construites des comportements discriminatoires. L’âgisme ne concerne ainsi pas que les personnes âgées. Pensons par exemple aux jeunes comme aux plus de 50 ans sur le marché de l’emploi. L’association a toutefois plus spécifiquement fait porter ses recherches sur les plus âgés. Nous pensons, dans l’association, que l’âgisme repose sur un système économique qui envisage les individus selon leur productivité pour l’économie, excluant les personnes âgées de celles qui ont de la valeur car seraient devenues improductives.
A.-P. : Vous parlez de l’âgisme comme un phénomène de discrimination peu connu en Europe sur votre site internet. Pourtant, si on en croit le dernier eurobaromètre des discriminations, 54% des presque 28 000 personnes interrogées y voient une discrimination répandue, chiffre qui place l’âge en tête du classement des facteurs de discrimination observée. Comment expliquer ce paradoxe ?
C. L. P. : Il est vrai que la perception de l’âge comme facteur de discrimination semble très répandue par rapport à d’autres. Il faut toutefois rester prudent quand on analyse les enquêtes quantitatives portant sur les perceptions des individus : les réponses dépendent souvent de la façon dont l’individu se sent concerné ou pas par la discrimination en question. De fait, les discriminations liées à l’âge peuvent concerner beaucoup plus de personnes étant donné que tout un chacun peut la subir à un moment donné de sa vie. C’est ce qui fait la spécificité de cette discrimination par rapport aux autres qui sont davantage liés à des stigmates que l’on porte toute sa vie.
Remarquons par ailleurs que l’âge est un indicateur nouveau dans cette édition de l’eurobaromètre. Cela souligne que l’âge est un facteur qui commence seulement à être pris en considération. Très peu de travaux sur l’âgisme existent en France contrairement à d’autres pays comme le Canada.
L’âgisme est enfin un élément peu conscientisé car n’est pas reflété par un collectif. Si on se sent discriminé par rapport à son âge, cela est essentiellement vécu individuellement et pas en référence à un groupe social défini, avec une identité née d’un mouvement social, comme cela a pu être le cas pour les femmes avec les mouvements féministes, par exemple.
A.-P. : « Dans le décompte des décès liés au coronavirus, la façon dont parfois on rassure les Français en insistant sur l’âge des morts a aussi quelque chose d’effrayant, cela dit quelque chose de l’âgisme qui mine notre société », s’emportait récemment Jérôme Guedj, ancien député récemment chargé par le ministre de la Santé d’une mission pour lutter contre l’isolement des personnes âgées confinées en période épidémique, dans les colonnes du Point. Que cette période particulière nous dit-elle sur la réalité de la notion selon vous ?
C. L. P. : L’association souscrit pleinement à ces propos. On peut même ajouter qu’aujourd’hui on souligne les décès chez les plus jeunes pour que les gens se sentent plus impliqués dans la lutte. Nous souhaitons que l’âge ne soit pas un critère dans la prise en charge des patients, comme ce que l’on a pu très tôt voir dans la gestion italienne de la crise et comme on commence à le voir dans les services de réanimation français saturés avec la barrière de 75 ans. L’âge est un facteur discriminatoire dans le traitement médical, et nous soulignons, en utilisant la notion de l’âgisme, que ce n’est pas un critère purement médical lié au fait que les personnes sont incurables mais qu’il y a aussi sous-jacentes des constructions sociales. En France, un modèle émerge depuis les années 1980 qui associe aux plus de 75 ans une catégorie du « grand âge » vue comme nécessairement associée à des pathologies chroniques.