Martin Hirsch, vote censitaire et espérance de vie
vendredi 6 août 2010
par webmaster

Participant à l’émission de France Inter “La jeunesse, tu l’aimes ou tu la quittes”, le 27 juillet 2010, Martin Hirsch, président de l’Agence du Service Civique, a reproduit l’une des phobies et l’un des stéréotypes âgistes les plus courants :

« Une société vieillissante, c’est quand même une société angoissante. Angoissante pour les jeunes. C’est une société conservatrice, etc. »

Il en a tiré ensuite quelques conclusions surprenantes pour un démocrate :

« Il faut refaire le suffrage censitaire [1] et donner deux voix aux jeunes quand les vieux en ont qu’une. Il faut donner autant de voix qu’on a d’années d’espérance de vie. [...] Quelqu’un qui a 40 ans devant lui devrait avoir 40 voix, quand celui qui n’a plus que 5 ans devant lui ne devrait avoir que 5 voix. »

Rappelons que, régulièrement, des chercheurs se penchent sur ces questions des relations entre âge et vote : leurs travaux montrent tous qu’existe, chez une très grande majorité d’électeurs, une grande constance des votes et convictions politiques de la trentaine à la mort. Autrement dit, le fait de devenir brutalement “de droite” (autres notions associées : “conservateur”, “réactionnaire”, “sécuritaire”, etc.) une fois passé les 60 ans ou 80 ans est un mythe.

Un mythe qui n’empêche pas ceux qui le prennent pour une vérité d’en conclure que cela mériterait de revenir sur ce principe “un homme - une voix”, essentiel, fondamental, notamment parce qu’il permet d’éviter que, selon les périodes et les phobies du moment, certains décident que des sous-citoyens (parce qu’ils sont pauvres, vieux, d’origine étrangère, sans enfants, etc.) devraient disposer de moins de poids politique que d’autres.

Une telle position est d’autant plus surprenante de la part d’un homme qui, à travers ses fonctions à l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris et à Emmaüs France, n’ignore pas qu’apparier le pouvoir d’un bulletin de vote avec la durée d’espérance de vie conduirait à priver surtout de cette fonction citoyenne non seulement les plus âgés, mais aussi les plus malades et les plus pauvres d’entre nous [2]. Ce qui, somme toute, amènerait à retrouver, via une forme aussi alambiquée qu’âgiste, la vraie fonction idéologique et économique du vote censitaire : priver les pauvres de toute influence politique.

[1] Définitivement supprimé en France en 1848, le suffrage censitaire était auparavant destiné à ne permettre de voter qu’aux “citoyens actifs” (payant un certain montant d’impôt), les “citoyens passifs” étant considérés comme incapables ou indignes d’une telle fonction...

[2] Rappelons que l’espérance de vie à 35 ans d’un cadre supérieur est de 46 ans, celle d’un ouvrier de 39 ans, celle d’un "inactif non retraité" de 28 ans...

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