Québec - Site du Le Réseau sur le vieillissement et les changements démographiques (RVCD).
La mission du RVCD est d’assurer une observation continue de l’environnement du vieillissement et des changements démographiques au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde pour en faire une analyse pertinente à la prise de décision stratégique et favoriser le partage et le transfert de connaissances entre les intervenants appelés à travailler dans ce domaine.
Robert Moulias,
Past Président International Association of Gerontology and Geriatrics – European Region
Conseiller Scientifique de la Fédération Internationale des Associations de Personnes Agées
La majorité des politiques et décideurs demeure persuadée que l’avancée en âge induit inéluctablement un état de » dépendance ». On ne sait pas sur quelle information est basé ce concept suranné, repris dans la « perte d’autonomie liée à l’âge » (sic). « Liée à quel âge ? » a- t-on envie de demander, certain de mettre dans l’impossibilité de répondre.
Ce vieux concept remonte à la nuit des temps. Les grecs distinguaient le presbyte, vieillard sage et le géronte, vieillard fou et ridicule : le « dément » d’aujourd’hui. Mais c’est le mot géronte qui est resté pour servir à construire le vocabulaire de la vieillesse. De même pour le latin, la sagesse du « sénateur » a laissé la place à la « sénilité », quintessence des pertes fonctionnelles attribuées alors à la vieillesse. Le temps reste t- il encore à la description shakespearienne de la vieillesse : « Sans taste, sans teeth, sans everything » ?
Le prétendu « vieillissement de la population » - en fait le recul de l’âge de la vieillesse, a masqué la révolution de la fin du XXème siècle qu’est l’apparition de la Longévité pour tous. On vit plus longtemps parce qu’on « vieillit » plus tard, parce qu’on se porte mieux, qu’on est moins malade, qu’on est malade plus tard, moins handicapé parce que mieux portant. Les pires attributs de la vieillesse ne sont que ceux de la maladie. La disparition de nombre de maladies, le retard d’apparition d’autres a transformé la vie des vieillards. La vieillesse n’est plus une brève période d’attente passive de la mort dans des infirmités croissantes, elle est devenue une période physiologique de l’existence : la seule qui soit extensible. Si on regarde les handicaps qui sont censés en être la règle, on ne trouve comme responsables que des maladies, jamais le seul âge chronologique. Au grand âge, comme à tout âge, nombre de ces maladies peuvent être prévenues ou guéries. D’autres ne peuvent être qu’atténuées, retardées ou accompagnées. Il s’agit dans tous les cas de maladies dont l’apparition est aléatoire et n’est jamais la conséquence directe du seul âge chronologique. Il y a des handicaps liés à des maladies, il n’existe pas de dépendance liée à la seule avancée en âge.
Le vieillard reste il toujours cet être qui a perdu ses muscles, son ouie, sa vue, sa mémoire, ses pensées, le goût des aliments et celui de la vie ? Nos idées reçues gardent le stéréotype de la mère-grand du petit Chaperon Rouge, isolée, grabataire, à qui il fallait assurer un portage de repas. Mère-grand avait sans doute à peine la soixantaine…Ce concept obsolète du vieillard forcément dépendant d’autrui se voit aujourd’hui contredit par l’expérience quotidienne de chacun.
L’espérance de vie croit rapidement, mais moins vite que l’espérance de vie sans incapacité majeure qui croit de quatre mois par an. Un vieillard valide de 80 ans dispose de près de 14 ans d’espérance de vie (mais contre moins de quatre ans pour son contemporain « fragile »). On vit plus vieux parce qu’on se porte mieux, parce qu’on est plus valide. Dans la société moderne, les vieux aident les jeunes financièrement, mais paient aussi de leur personne pour garder les petits enfants, pour les petits ou grands travaux chez leurs enfants.
Seule, la période terminale de l’existence s’accompagne d’une perte d’autonomie de plus ou moins longue durée. Cela est valable quel que soit l’âge de la maladie mortelle et du décès : précoce ou tardif. Que la mort soit reportée à la grande vieillesse est un progrès difficile à contester ! Cependant, avec l’avancée en âge, la mort « subite », c’est-à-dire en 48 heures, non précédée d’une longue période de maladie invalidante devient plus fréquente. La mort au décours d’une longue période de dépendance croissante ne concerne qu’une minorité de vieillards.
Il n’existe pas d’ « âge de l’entrée en institution », autre mythe moderne qui ne correspond à aucune réalité. Si l’âge où certains entrent en institution continue de reculer, c’est que l’état de santé des vieilles personnes continue de s’améliorer. Le besoin institutionnel, même chez les plus âgés ne concerne qu’une minorité qui peut encore décroître.
La vieillesse continue à être considérée comme une « maladie » liée à l’écoulement du temps. C’est nier le progrès des modes de vie qui fait qu’un octogénaire d’aujourd’hui est en meilleure forme qu’un sexagénaire d’il y a un siècle, avec une bien meilleure espérance de vie. C’est nier que pour chaque déficience autrefois attribuée au seul âge chronologique, on trouve une maladie ou plusieurs maladies. Certaines peuvent certes rester incurables, mais beaucoup peuvent être guéries, ou, mieux, prévenues. En cinquante ans d’exercice gériatrique, après avoir vu des milliers de vieillards malades, je n’ai jamais vu personne mourir de vieillesse, mais seulement de maladies. Dans le vieillissement existent des mécanismes de protection. Devant la mort d’un centenaire, la question est moins, « de quoi est il mort ? » tellement il était porteur d’affections létales, que « Comment faisait –il pour vivre ? » voire « Comment faisait il pour demeurer si valide en dépit de ses multiples pathologies ? ».
L’étude française PAQUID, menée par J L Dartigues a démontré que 87 % des états de « grande dépendance » des vieilles personnes sont la conséquence de syndromes démentiels. Ceci ne laisse que 13 % aux accidents vasculaires cérébraux et aux syndromes extra –pyramidaux, autres grandes causes de perte d’autonomie. Cela ne laisse AUCUNE place à l’âge chronologique lui-même comme facteur de dépendance. On n’insistera jamais assez sur ce fait. Il n’existe d’état de dépendance que lié à la maladie, jamais à l’âge seul.
La plus grande peur de vieillir de nos jours concerne la peur de développer un des syndromes de déficits cognitifs progressifs, abusivement regroupés sous le vocable unique de « Maladie d’Alzheimer ». Il est démontré aujourd’hui que ces « démences » doivent être distinguées de la vieillesse, qu’il s’agit d’un groupe non homogène de maladies de mécanismes divers, que l’âge chronologique n’est qu’un facteur relatif de fréquence, que certaines formes sont susceptibles de prévention efficace (démences vasculaires, démences mixtes : ce sont justement les formes affectant les personnes les plus âgées).
D’autres maladies pouvant affecter les fonctions cognitives des vieillards sont tout à fait curables : tels les syndromes dépressifs, bien plus fréquents que les « démences », mais susceptibles d’en favoriser certaines formes..
La majorité des personnes les plus âgées garde des fonctions intellectuelles normales, pour peu qu’on leur laisse l’occasion de s‘en servir… Combien de décideurs demeurent persuadés de l’inéluctabilité d’une « déchéance » intellectuelle « liée » à l’âge ? Combien de médias continuent à affirmer avec autorité cette assertion âgiste et scientifiquement erronée ?
On peut faire la même démonstration pour chaque infirmité attribuée à l’âge comme facteur causal.
Beaucoup de vieillards sont malvoyants, mais comme aujourd’hui on opère toutes les cataractes, beaucoup voient mieux à 80 ans qu’à 70 ans ! La dégénérescence maculaire n’a pas encore de traitement étiologique. Mais on sait comment rééduquer la vision de ces personnes malades âgées, ce qui implique qu’un cerveau d’octogénaire puisse établir de nouvelles connections cérébrales : la plasticité cérébrale n’a pas d’âge.
Beaucoup sont malentendants, mais ce sont les jeunes qui le deviennent plus sévèrement qu’eux : techno - musique et baladeurs sont plus nocifs que le temps.
Reste l’inévitable perte musculaire. On ne peut faire à 60 ans ce que l’on faisait à 20 ans, ni à 80 ans ce que l’on faisait à 60 ans. Mais les fibres musculaires de l’endurance ne sont pas atteintes par cette perte musculaire attribuée à l’âge. Surtout il est démontré qu’à tout âge, même après 90 ans, on peut récupérer de la force et de la masse musculaire par l’exercice. La perte de la mobilité n’est pas non plus une conséquence inéluctable de l’avancée en âge. Le pourcentage de la population de plus de 65 ans ayant des difficultés motrices est passé de 1985 à 2000 de 8 % à 6,5 %, ceci malgré le fort vieillissement de cette tranche de population. L’activité physique reste en « médecine basée sur des preuves » le meilleur « traitement anti-aging », avec la conservation d’une activité intellectuelle et sociale.
L’important est de toujours identifier la ou les causes de la « perte d’autonomie ». elle(s) peu(ven)t alors être prévenue(s) ou guérie(s). Si ce n’est pas possible il faudra tenter de compenser le handicap. Il est patent que l’âge chronologique n’a pas de rôle causal direct dans ces handicaps. Il reste malheureusement banal d’être « dépendant » à 59 ans, si on a eu la malchance d’être atteint d’une maladie invalidante. Il est devenu banal de rester valide et lucide à cent ans si on a eu la chance de passer à travers de tous les risques de maladie.
Il n’est plus acceptable de pouvoir lire dans un projet officiel le terme de « dépendance liée à l’âge » ou de « perte d’autonomie liée à l’âge. Les pertes d’autonomie sont toujours liées à des maladies ou des accidents. L’âge, logiquement, peut accroître leur prévalence. Il accumule toutes les agressions et maladies survenues pendant tout le vécu de la personne. L’âge n’est jamais un facteur de risque par lui-même. Il n’est que le témoin du vécu et des années passées. A vécu différent, pathologies plus tardives, différentes, retardées ou absentes. La gériatrie moderne est faîte de prévention. L’âge lui-même y participe par ses mécanismes d’adaptation.
Ce qui est grave, c’est que le concept de dépendance liée à l’âge, n’est pas qu’inexact : il apporte plusieurs inconvénients et dangers sévères.
il nie la responsabilité de la maladie. Le fatalisme ; « C’est du à l’âge.« entraîne encore de nos jours un retard ou un refus d’accès aux soins en temps utile. Cela reste une source majeure d’invalidités et de lourds surcoûts que l’on pourrait facilement éviter.
il justifie le refus d’une assurance, puisque ce ne serait pas un risque aléatoire, mais une certitude !
il nie, contre toute évidence scientifique, toute possibilité de prévention, alors que les armes de celle – ci sont devenues remarquablement efficaces dans nombre de domaines importants de la santé (vasculaire, cardiaque, cérébral, osseux, infectieux, etc). Cette efficacité est particulièrement remarquable en rapport bénéfices / coûts chez le vieillard.
il empêche toute éducation pour la santé et repousse la population et les médias vers la coûteuse et inutile »anti-aging medicine » et autres théories souvent charlatanesques de lutte contre le « vieillissement » , au dépens des préventions ciblées, à l’efficacité prouvée en fonction du risque individuel.
Il n’existe aucun argument scientifique qui permette de séparer les causes des déficiences et handicaps en fonction d’une barrière d’âge qui ne pourra jamais être définie. Au fur et à mesure de l’écoulement des années, l’individu affronte des risques de maladie et d’accidents qui peuvent entraîner déficiences, incapacités et désavantages. Il y a lieu de compenser ces désavantages lorsqu’ils altèrent sa vie quotidienne en tenant compte de l’environnement de la personne, de ses capacités restantes, de ses ressources. Son âge peut évidemment retentir sur ces facteurs. Mais l’âge n’est JAMAIS à lui seul à l’origine d’une perte d’autonomie.
On peut admettre que les façons d’attribuer la compensation des handicaps varient selon les conditions de vie de la personne : a t –elle des ressources propres liées à une vie antérieure de travail, ou le problème est il au contraire celui de l’accès à un emploi. A-t-elle un patrimoine, un entourage familial ? Mais aussi le handicap est il stable ou améliorable ou au contraire est il la conséquence d’une maladie incurable évolutive (cas le plus fréquent des pertes d’autonomie considérées à tort comme : « liées à l’âge » !) ?
La convergence annoncée des législations de compensation du handicap sera un grand pas vers plus d’équité, à condition d’en finir réellement avec les catégorisations d’âge. Encore faut il que les dés ne soient pas pipés dès le départ par le faux concept d’une prétendue »perte d’autonomie liée à l’âge », qui serait la conséquence inéluctable de l’avancée en âge et ne relèverait donc ni d’une prévention, ni d’une mutualisation du risque, puisque ce serait une inéluctable certitude. Concept fataliste, anti- scientifique, âgiste, il permet de justifier à tort toutes les discriminations, les refus de soins, les refus de préventions, un refus de prise en compte des incapacités liées aux maladies des vieillards.
C’est un devoir de tous ceux qui sont impliqués dans les sciences et le travail gérontologiques et gériatriques de faire comprendre l’inanité de ce concept et surtout ses risques.