L’Académie Goncourt se rénove. Elle a jugé avec pertinence qu’il était nécessaire de modifier ses statuts afin de n’avoir plus à subir, comme cette année, les attristantes conséquences du manque de rigueur de certains de ses membres. Elle souhaite ainsi que les absences répétées aux réunions deviennent un motif d’exclusion et que les jurés ne puissent voter qu’en étant présents lors du vote.
On s’étonne qu’il ait fallu si longtemps pour adopter de telles mesures.
On s’alarme en revanche de la décision d’instaurer une limite d’âge pour voter. À 80 ans, prévoit en effet la réforme, le membre du jury passera automatiquement à l’honorariat : il sera autorisé à participer aux réunions et aux débats, à déjeuner donc avec ses pairs chez Drouant, mais sera exclu du vote !
L’Académie veut-elle éviter qu’un juré devienne routinier ? Bien. Il suffit alors d’en finir avec l’élection à vie et de limiter à dix ou vingt ans, par exemple, la présence au sein de l’Académie. Désire-t-elle, comme une marque, « rajeunir son image » ? Bien. Rien ne l’empêche d’élire des jurés appartenant à toutes les générations.
Mais 80 ans, âge limite... En quoi l’appréciation de la qualité d’un roman est-elle liée à l’âge ? Quelles sont les compétences qui viendraient automatiquement à manquer du fait du changement de décennie ? Faut-il conclure, pour être aussi précis que l’Académie, qu’après 80 ans on resterait capable de manger, mais pas de voter ? Vieux gourmand... mais vieux gâteux ? Alors même qu’on n’est jamais trop vieux, heureusement, pour recevoir le prix Goncourt.
« Le temps ne fait rien à l’affaire. » Molière l’écrivit, Brassens le chanta : la compétence, l’incompétence, ne sont pas affaire d’âge (ni, faut-il le rappeler, de genre, de couleur, de fortune, d’origine, etc.).
À l’ignorer, on entre à pieds joints dans la discrimination. Une discrimination qui ne touchera que les jurés de l’Académie Goncourt. Du moins dans un premier temps. Car l’idée, simpliste et facile, fera son chemin : plus capables par nature de juger d’un roman, comment les octogénaires seraient-ils capables de juger d’un programme politique ? On s’approche dangereusement de ce que préconisait dès 2006 le philosophe Yves Michaud : établir une « fin de vie citoyenne » (sic) et supprimer le droit de vote à 80 ans.
L’Académie Goncourt ne peut modifier ses statuts sans l’aval du Conseil d’Etat. Nous attendons bien entendu de ce dernier qu’il rejette une telle mesure, discriminatoire et potentiellement contagieuse par l’exposition médiatique dont profite chaque année la désignation du nouveau Goncourt.